Une autre publicité est possible

Discussions et échanges lors de l’évenement “La publicité, on a tou·te·s une bonne raison de s’en passer”

“La publicité, par essence, a pour fonction de faire naître le désir de ce qui n’est pas nécéssaire. Ce faisant, elle est le lubrifiant d’un modèle productiviste et consumériste destructeur. Elle en incarne l’esprit et en est une image présentable.”

- David Cormand

Trois temps pour passer la publicité :

  • Résumer.

    Quel est l’état des lieux de notre rapport à la publicité ? Derrière ce questionnement simple ce dessinent un ensemble complexe de réalités bien palpables. Quels équilibres entre publicité, société, environnement et ordre politique ? Quelle appréhension par les pouvoirs publics du fait publicitaire ? En première partie de l’évènement, David Cormand, député européen et Thierry Libaert, membre du CESE, se sont attelés à poser les bases de ces réflexions, en passant en revue l’écosystème publicitaire européen.

  • Repenser.

    L’ancrage de la publicité se manifeste autant dans les secteurs économiques et sociaux qu’au plus profond de chaque individu. Pour toutes ces raisons, c’est avec transversalité qu’il faut s’attaquer à la question publicitaire. Notre table ronde aura été l’occasion de croiser santé, droit des consommateurs et pratiques de consommation, économie, écologie et santé démocratique. Penser les formes que devra adopter la publicité pour se conformer à des impératifs multiples implique de discuter largement le modèle vers lequel nos sociétés doivent tendre.

  • Réagir.

    Le temps de l’action est depuis longtemps venu. C’est d’ailleurs grace à une action longue, résolue, tenace, que la publicité n’est plus qu’un a-coté de l’action publique, mais une véritable problématique de société. Cet évenement, au delà de la discussion, a été l’occasion de constater, de comparer et de mesurer l’intéret de différents modes d’actions, qu’ils soient militants, experts ou politiques, dans la quête d’une publicité plus juste. L’expression de ces combats doit inspirer, et leur message doit désormais essaimer à une échelle plus large.

I- Résumer

Introduction aux enjeux de la publicité en Europe

“La question qui doit se poser, c’est celle de la compatibilité même de la publicité avec la dynamique de la transition écologique.”

- Thierry Libaert, membre du CESE.

À plusieurs égards, le sujet de la publicité est un angle mort. En bon “éléphant dans la pièce”, l’on a tôt fait de l’intégrer à nos modes de fonctionnement. En réalité, les transformations nécessaires imposées par l’urgence climatique et la quête de justice sociale doivent également impliquer le secteur publicitaire. Comme l’a souligné Thierry Libaert, une transition écologique sincère et ambitieuse ne saurait se passer d’une évolution des pratiques publicitaires. Ce qu’explique finalement Thierry Libaert, c’est que dans un moment où nous devons redéfinir le modèle de société que nous désirons, il faut également questionner les modèles de société que nous promouvons par la publicité.

II - Repenser

Se réapproprier la publicité : quels obstacles à des modes de communication au service de toutes et tous ?

“Aujourd’hui, est-il toujours nécéssaire de dédier de l’espace public à des formes de communications destructrices de la santé et de l’humain ?”

- Jessica Beagley, Global Climate and Health Alliance

L’expertise de Jessica Beagley en matière de santé comme d’action publique lui permet de dresser un parralèle pertinent entre la nécessité moderne d’encadrer la publicité pour des raisons de santé publique et l’interdiction passée de la publicité des produits du tabac. En promouvant des comportements nuisibles à grande échelle, la publicité est la cause indirecte de nombreuses pathologies et décès. Ce pour quoi plaide Jessica Beagley, c’est pour une action politique qui ne se contente pas de compter les malades, mais agit pour privilégier la santé aux logiques lucratives des annonceurs.

“La publicité influence de manière très personnelle la parception de ce qu’est la norme en matière de consommation.”

- Jan Willem Bolderdijk, Université d’Amsterdam

Il existe une dissonance cognitive, explique Jan Willem Bolderdijk, entre la volonté affichée des consommateurs d’effectuer des choix de consommation vertueux, et la réalité de leurs pratiques consommatoires. Cette dissonance tient au fait que la publicité est prescriptrice de normes. En promouvant des pratiques de consommation nusibles et en les érigeant en normes, la publicité contribue à leur autoperpétuation. Ainsi, la publicité agit comme une force conservatrice, qui fige ce qui est désirable, en dépit alors d’une sensibilité pour la durabilité des consommateurs et des consommatrices.

“Il existe un certain nombre de lois encadrant la publicité. Cela ne signifie certainement pas que la régulation publicitaire est forte”

- Renaud Fossard, Communication et Démocratie

La présentation de Renaud Fossard a permis de comprendre la nécessité d’une réelle prise en charge par les pouvoirs publics des diverses faces du problème publicitaire, en listant les biais du cadre actuel. De fait, la régulation de la communication commerciale est adaptée à un modèle de développement qui nie les impératifs écologiques et sociaux. Son caractère autorégulé nuit à un véritable changement de paradigme en entretenant plusieurs non-sens, sur la forme (pression publicitaire élevée, invasivité) et sur le fond (messages contestables, blanchiment d’image, obsolescence. Renaud Fossard a également évoqué le rapport qu’il a dirigé, très exhaustif et disponible ici.

“Longtemps, la science économique a considéré que la publicité concourrait à la libre concurrence et à l’équilibre du marché. Or, de plus en plus d’études tendent aujourd’hui à dire le contraire.”

- Mathilde Dupré, Institut Veblen

Le rapport de l’institut Veblen, coécrit et présenté ici par Mathilde Dupré, prend à revers les principaux arguments de ceux favorables au statu quo. L’état de Far West publicitaire est entretenu par ces mythologies erronnées : méthodiquement, Mathilde Dupré explique ses failles. La communication commerciale des entreprises nécessite des moyens colossaux, que peu d’annonceurs peuvent déployer. Elle est anticoncurentielle, et oriente vers un consumérisme standardisé, gonflant la consommation au dépit des besoins et de l’environnement. Le rapport complet et ses conclusions sont disponibles ici.

“La publicité a énormément changé. Les consommateurs sont exposés à de nouvelles pratiques, sur de nouvelles plateformes de diffusion, et il faut s’assurer de leur protection en ligne.”

- Patrycja Gautier, BEUC

Patrycja Gautier a expliqué en quoi la publicité, en suscitant immodérément les désirs, est un facteur d’obsolescense marketing des produits. L’obsolescence nuit directement aux consommateurs et consommatrices, et à l’environnement. Mais son analyse va plus loin : cette prédation adopte de nouveaux canaux, comme internet ou les influenceurs. Ces modes de publicité impliquent de nouveaux défis pour la protections des usagers en ligne, des jeunes, et de leurs données personnelles. Ce qui est rappelé par Patrycja Gautier, c’est que si le combat contre les abus publicitaires est un combat du temps long, il ne faut pas oublier que la publicité est un objet vivant, qui est le reflet des pratiques de son époque.

III - Réagir

Se battre à toutes les échelles

“Nous avons gagné la bataille culturelle contre la pub. Aujourd’hui, les citoyens sont demandeurs de règles”

- Sarah Denisse, Rap

Les associations et mouvements citoyens comme RAP ont été des échelons essentiels à la prise de conscience et à la problématisation de la publicité. Résistance à l’agression publicitaire a marqué, par sa présence sur le terrain et ses actions. Sarah Denisse a expliqué comment l’association a su transformer son expérience en une véritable expertise dont elle use pour accompagner les concertations citoyennes, et peser pour de véritables régulations de la publicité.

“Réguler la publicité au niveau local, c’est un choix politique. Un choix qui pourrait être aidé d’un cadre légal plus ambitieux !”

-Benjamin Badouard, élu de la Métropole de Lyon

Le parcours de Benjamin Badouard, entre action militante et pilotage politique, témoigne de la pertinence du sujet publicitaire aux yeux des électeurs et des électrices. Lors de son intervention, il a démontré qu’avec des convictions et de la volonté politique, il est possible de s’attaquer à la densité de l’affichage en milieu urbain. À l’échelle locale, les décideurs et décideuses sont en première ligne des revendications citoyennes antipub. Ils et elles ne doivent plus seuls assurer cette charge.

Ce qu’il faut, c’est ouvrir une brèche. C’est ce qu’a fait Zigy Klazes à Haarlem, Pays-Bas. La proposition qu’elle a porté d’interdire la publicité pour la viande rouge dans l’espace public relève d’une mise en cohérence : l’on ne peut pas attendre d’individus des comportements vertueux si ils et elles sont exposés à des injonctions contraires. Mais ce raisonnement est loin d’être une évidence.  La présentation de Ziggy Klazes a fait état du rôle de précurseur de certains décideurs et décideuses, et de l’effet d’entraînement qu’ils et elles peuvent susciter.

“Je viens d’une petite ville, d’un petit pays. Mais ce que nous y avons fait est important. Les petits ruisseaux font les grandes rivières.”

- Ziggy Klazes, conseillère municipale de Haarlem

Au travers d’une liste d’exemples fournie, Silvia Pastorelli a fait état du niveau de greenwashing auquel sont quotidiennement exposés les consommateurs et consommatrices. Ce greenwashing, d’une part, démontre le caractère nuisible des produits écoblanchis, que les annonceurs cherchent à cacher. D’autre part, la généralisation du greenwashing témoigne du manque d’instruments de contrôle des campagnes publicitaires. Selon Silvia Pastorelli, le greenwashing permet également aux annonceurs de bénéficier de débouchés politiques et d’influencer les pouvoirs publics.

“Nous devons prendre une longueur d’avance, être à l’offensive, veiller à empêcher le marketing problématique avant même qu’il n’ait lieu.”

-Femke Sleegers, Social Tipping Point

“La question désormais n’est plus de savoir si l’Europe doit prendre en charge la question des publicités nusibles, mais quand.”

- Silvia Pastorelli, Greenpeace

En menant de nombreuses campagnes à l’échelle des Pays-Bas, Femke Sleegers dispose d’une expérience unique de la lutte contre les dérives de la publicité. Pour elle, le “name and shame” ne suffit plus : lorsqu’une campagne de pub’ trompeuse ou qu’un évenement sponsorisé par l’industrie des énergies fossiles est dénoncé, il est déja trop tard. Femke Sleegers explique qu’être à la pointe de cette lutte, c’est prendre les devants : cela signifie, en plus du militantisme de terrain, de mettre en place des dispositifs légaux qui les en empêchent.

“ Il faut maintenant réguler, et réguler à une échelle critique. L’échelle critique, c’est l’échelle européenne : activons le levier réglementaire ! L’union européenne est la première économie et le premier marché du monde. Quel meilleur endroit que le premier marché du monde pour remettre à l’endroit notre rapport à la consommation ? Il nous faut porter le combat auprès des institutions européennes, de la Commission, et au sein des autres groupes politiques. Parce que la question publicitaire résonne déja dans la société. Elle trouve un écho auprès d’individus qui y sont toutes et tous exposé.e.s quotidiennement. À nous, désormais, d’en faire un objet politique, et d'‘accompagner ce que la société civile, les mouvements, les associations ont déja structuré. “

Le mot de la fin

Par David Cormand

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